Karine Demers ou le pouvoir salvateur de l’art
Depuis toute petite, Karine Demers souffre de troubles d’alimentation et d’anxiété sévère. En 2013, alors qu’elle est au bout du rouleau après une expérience de travail toxique, elle décide de reprendre la pratique de l’art. Cela changera sa vie.
Après avoir fait des études en aménagement intérieur et en dessin de bâtiment, Karine occupe divers postes dans plusieurs industries. Aucun ne la passionne, mais ils lui servent de gagne-pain. Et puis un jour, tout bascule. L’environnement dans lequel elle travaille est si malsain qu’elle en tombe malade. « J’étais dans un état si lamentable que je n’envisageais pas de retour au travail », se souvient-elle. La jeune femme s’isole, ne voit plus personne et souffre de dépression majeure. Ses démons – les troubles alimentaires et obsessionnels ainsi que l’anxiété – refont surface. Au cours d’une séance de psychothérapie, sa thérapeute l’encourage à reprendre la pratique de l’art à laquelle elle s’adonnait plus jeune. Celle-ci fournit alors à Karine la bouée de sauvetage dont elle avait besoin. En occupant ses mains et son esprit, elle réussit à chasser ses mauvaises pensées et à contrôler ses troubles alimentaires. Petit à petit, elle regagne aussi l’estime d’elle-même. Sans travail et sans salaire, elle décide alors de vendre tout ce qu’elle possède pour se consacrer à la création. « Mes livres d’art, ma collection de verres soufflés, mes meubles, tout y est passé. Mon copain et moi avons aussi vendu notre petite maison pour aller vivre dans un modeste appartement ». Mais le sacrifice en vaut la peine. Rapidement, ses voisins et amis lui achètent ses premières œuvres. L’un d’entre eux, galeriste et mécène, lui organise sa première exposition solo en 2018.
SE LIBÉRER PAR LA FORCE CRÉATRICE DE L’ART
Les expositions s’enchaînent et Karine se fait une place dans le monde exigeant de l’art. Immédiatement reconnaissables par leur style unique, ses œuvres de papier à mi-chemin entre le tableau et la sculpture, suspendues dans l’espace ou encadrées, séduisent les collectionneurs par leur composition complexe, leur jeu sur la lumière, la cadence des formes et des couleurs. S’appuyant sur la régularité de suites ou l’accumulation de minces bandes de papier, celles-ci reflètent le cycle de la vie tout en diffusant un sentiment de sérénité.
Dans ce geste répétitif, pratiqué pendant des heures, l’artiste trouve elle-même un apaisement, aussi bénéfique qu’une méditation de pleine conscience. « Avant, j’avais beaucoup de TOC. Je replaçais sans cesse les objets de la maison au millimètre près, ce qui agaçait mes proches. Aujourd’hui, je le fais dans mes tableaux et j’ai la paix avec mon entourage! », raconte-t-elle en riant. Ainsi, ce qui, au départ, était associé à une impulsion et à des troubles psychiques, devient un acte réparateur transposé dans la pratique artistique.
PRÔNER LA LENTEUR
Avec le temps, l’arthrose, qui a gagné ses mains, son cou et ses bras a obligé Karine à ralentir et à travailler autrement. Mais elle en a fait une force et même un mode de vie. Si elle doit se lever tôt pour pouvoir faire davantage de pauses et varier les projets, l’artiste revendique la lenteur. « Dans notre monde, la lenteur est une forme de rébellion. Je vis dans une maison entourée par la forêt, au rythme de la nature. Cela m’inspire. Je vois les saisons se dérouler, et ce mouvement cyclique me nourrit », affirme-t-elle.
REDONNER ESPOIR À CEUX QUI EN ONT BESOIN
Grâce aux arts visuels, Karine a trouvé un équilibre qui lui a permis de s’épanouir en tant qu’artiste, mais aussi en tant qu’individu. Comblée, elle tient aujourd’hui à faire découvrir à ceux qui en ont besoin le pouvoir curatif de l’art. Elle est ainsi impliquée auprès de plusieurs organismes venant en aide aux personnes ayant des enjeux de santé mentale, dont Les Impatients. En plus d’avoir été cette année la marraine de son exposition-encan, Karine y a animé des activités d’art plastique. « Ces séances ont pour but de sortir les participants de l’isolement. J’ai moi-même vécu cette détresse, donc je comprends ces personnes. Nos échanges sont formidables. »
Sa prochaine exposition, Sœurs, qui se tiendra cet automne au Centre des arts et des loisirs Alain-Larue à Notre-Dame-des-Prairies, explorera la thématique du suicide. Conçue avec sa sœur Valérie Demers, l’installation mêlant sculptures, vidéos et écrits mettra en lumière le passage difficile qu’est celui de l’enfance à l’adolescence et de l’adolescence à l’âge adulte. Pour Karine, il faut en effet continuer à parler des enjeux de santé mentale parce qu’il reste encore bien du chemin à faire. « J’ai eu honte très longtemps. Je me cachais. L’art m’a fait sortir du placard. Il faut parler des maladies mentales. C’est dur de faire le premier pas, mais amorcer le dialogue fait du bien. Cette exposition traite d’un sujet difficile, mais donne une piste salvatrice. » L’artiste conclut d’ailleurs notre entretien en citant Boris Cyrulnik : « en nous attachant à des passions, nous avons réussi ma sœur et moi à nous “enrôler dans la vie” ». Ce message, Karine espère le partager avec le plus grand nombre.